dimanche 27 mars 2016

Babelcube, les critiques : la suite

Ces derniers jours, le concept de Babelcube a suscité de nombreuses réactions sur Twitter. Je trouve le débat passionnant mais il est difficile de bien s'exprimer sur Twitter ; en 140 caractères, argumenter n'est pas toujours évident.

J'ai donc décidé d'écrire un nouvel article au sujet des critiques de Babelcube, qui fait écho au premier (à lire ici). Encore une fois, mon but n'est pas de promouvoir Babelcube. J'ai moi-même été contre au départ, puis j'ai testé le site et mon avis est aujourd'hui plutôt neutre : la plateforme a des bons et des mauvais aspects. Je ne suis donc dans l'absolu ni pour, ni contre - mais je trouve en revanche dommage que le concept soit à ce point descendu en flèche par de nombreux traducteurs.

1) La rémunération

Les traducteurs ne sont rémunérés qu'en fonction des ventes, et ils n'ont donc pas de revenu assuré. Le traducteur prend le risque de travailler pour des cacahuètes. Je l'ai déjà dit, pour moi, la situation équivaut à celle de l'auteur autoédité : lui non plus ne sait pas si son livre fonctionnera et il prend également le risque de travailler pour rien - si ce n'est pour le plaisir de voir son livre publié et de savoir qu'il aura touché deux ou trois lecteurs.

Je trouve étrange que d'un côté on se batte pour que le traducteur jouisse de la même reconnaissance que l'auteur ("il s'agit d'une œuvre de création, il faut que le nom du traducteur apparaisse sur la couverture, il faut citer le traducteur autant que l'auteur quand le livre reçoit un prix, etc.") mais qu'en même temps, on refuse de prendre les mêmes risques que les auteurs. Qu'un auteur doive passer par la case revenus modestes voire nuls pour son premier livre, c'est une chose ; mais que le traducteur en fasse de même, ça ne va pas ? Le traducteur ne devrait traduire que des livres à succès pour lesquels il est sûr de toucher un revenu fixe ? Pourtant, aucun auteur ne s'est lancé en étant sûr à 100% de réussir... Où est l'égalité, ici?

Enfin, il faut bien comprendre que les traducteurs qui décident de passer par BC le font de leur plein gré et qu'ils sont conscients que l'aspect financier ne suivra peut-être pas. Donc, qu'on ne veuille pas prendre ce risque, je le respecte tout à fait ; mais qu'on critique ceux qui souhaitent le prendre, je ne le comprends pas.

2) L'éthique/le respect du métier

On ne s'improvise pas traducteur littéraire ; or, sur cette plateforme, n'importe qui peut tenter sa chance, au risque de produire un résultat médiocre. Je suis entièrement d'accord. Mais quand on me dit que cela porte préjudice au métier de traducteur littéraire, au respect de la profession, etc... Là, je ne suis plus du même avis.

Premièrement, c'est un risque que l'auteur et le traducteur sont prêts à prendre, à tort ou à raison. Ça peut fonctionner, ça peut échouer, l'expérience seule le dira. Mais faut-il limiter les traductions littéraires à l'élite? Une traduction pro coûte cher ; un petit auteur indépendant n'en a clairement pas les moyens. Cela voudrait donc dire que seuls les auteurs à succès auraient le droit de se voir traduits? Parce que, soyons honnête : Babelcube ne tue pas le métier, le site n'enlève pas de projets aux "véritables" traducteurs littéraires. Les grands auteurs qui payent préféreront toujours se tourner vers des pros, c'est évident. Sans Babelcube, il n'y aura pas plus de travail rémunéré pour les traducteurs littéraires, puisque les auteurs qui utilisent BC décideront simplement de ne pas traduire leur livre, faute de moyens.

Encore une fois, la situation est selon moi proche de celle des auteurs autoédités. Un livre autopublié sur Amazon par exemple n'aura certainement pas un rendu aussi professionnel qu'avec une maison d'édition, il y aura peut-être des typos à cause de l'absence de relecteur, la mise en page ne sera peut-être pas parfaite, la promotion sera forcément moins bonne... Mais l'augmentation du nombre d'auteurs autoédités a-t-elle porté préjudice aux grands auteurs? Lit-on moins J.K. Rowling sous prétexte que Charles Boudin a publié son bouquin?

3) La plateforme est une arnaque

Pourquoi ne pas travailler directement avec les auteurs plutôt que passer par la plateforme, qui prend une commission, quelle arnaque? Effectivement, c'est une possibilité. Cependant, n'oublions pas que l'inscription est gratuite ; la plateforme prend une commission sur les ventes... Exactement comme le traducteur et l'auteur. Si la plateforme s'accordait les revenus des 100 premières ventes par exemple, je serais d'accord de dire qu'il s'agit d'une arnaque. Si l'inscription était payante, de même. Mais là, la plateforme offre un service (mise en relation d'auteurs/traducteurs, publication du livre sur plusieurs sites de vente, etc.) et court le même risque que nous : si le livre ne se vend pas, elle aura elle aussi travaillé pour rien. C'est le même concept que des sites comme Booking, Weekendesk... : ils centralisent plusieurs offres pour le visiteur, qui gagne ainsi du temps, et en contrepartie ils prennent une commission sur les ventes. Je ne trouve pas cela scandaleux puisqu'en effet, rien n'empêche de contacter de son côté les auteurs pour leur proposer de traduire leur livre en échange d'une commission sur les ventes - personnellement, je préfère le faire via BC, c'est plus simple, mais le choix existe.

CONCLUSION
Jamais il ne me viendrait à l'idée de parler de Babelcube à des traducteurs littéraires implantés. Je me doute que le concept ne les attirera pas, de même qu'il n'intéressera pas de grands auteurs qui ont les moyens de s'offrir une traduction professionnelle et de s'assurer un travail de qualité. En revanche, de nombreux traducteurs débutants m'ont contactée pour m'en parler avec enthousiasme : ils étaient heureux d'avoir une opportunité de traduire des livres, même si ce n'était pas du Shakespeare, et même si ce ne serait peut-être pas (beaucoup) rémunéré. Peut-être que leur traduction ne sera pas parfaite, peut-être qu'il y aura des fautes. Peut-être également que le livre qu'ils traduiront ne sera lui-même pas génial : l'auteur aura peut-être lui-même fourni un travail amateur. Tout ça ne tue pas le métier d'auteur ou de traducteur, selon moi. Je serais toutefois sincèrement ravie d'entendre vos autres critiques (négatives ou positives), n'hésitez surtout pas, c'est un débat fort intéressant :-)

4 commentaires:

  1. Bonjour,
    Tout d'abord, merci pour ton site, c'est grâce à lui et à tes liens Facebook que j'ai découvert Babelcube. Pour le moment, je suis comme toi : j'ai traduit quelques livres, mais les euros peinent à arriver. Forcément, ce n'est jamais une garantie. Néanmoins, je ne trouve pas que ce site soit une arnaque ou que ce soit honteux de ne pas payer les traducteurs... Il y a d'autres critiques à émettre vis-à-vis de leurs services, mais certainement pas ceux-là ! Personnellement, découvrir Babelcube m'a fait un bien fou : ça m'a permis de renouer avec la traduction. J'ai toujours adoré traduire, j'ai adoré mes 5 années à l'ISTI, mais j'aime encore plus travailler au milieu des livres, en librairie. De ce fait, j'avais laissé la traduction de côté et de toute façon, avec un temps plein, c'était impossible pour moi de pouvoir m'engager auprès de maisons d'édition pour traduire des romans. Avec Babelcube, je peux à nouveau m'accorder le plaisir de traduire. Bien sûr que je veux toucher de l'argent avec ces traductions, quoi de plus normal ? Toutefois, ce n'est pas le but premier. C'est avant tout comme une sorte de hobby pour moi, un plaisir tout simplement :)

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    1. Merci pour ton feedback, Gaëlle :-) Je suis contente que BC ait pu t'apporter du plaisir (surtout si c'est grâce/à cause de moi que tu t'es lancée!) et te permettre de te relancer un peu dans la traduction malgré ton temps plein.

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  2. Vous oubliez un aspect essentiel, mesdames, traduire pour rien est un luxe que les traducteurs vivant de la traduction ne peuvent pas s'offrir. Alors oui, la généralisation de ce type de pratiques est condamnable.
    Brigitte
    Traductrice professionnelle

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  3. Un autre souci avec BabelCube (outre que les traducteurs travaillent pour des prunes) est qu'il n'y a aucun travail d'édition (préparation de copie, correction notamment, sans parler du marketing) et que le résultat final qui sera publié ne sera absolument pas une vitrine pour le malheureux traducteur qui aura signé de son nom. Je conseillerais même à ceux qui seraient tentés de prendre un pseudo s'ils espèrent se servir de BabelCube comme tremplin pour accéder à l'édition traditionnelle.

    Si les traducteurs BabelCube traduisent pour le plaisir (comme les fansubs), les livres ainsi traduits se retrouvent sur le marché (les distributeurs de livres numériques) au milieu des "vrais livres (j'entends par là, des produits d'édition du circuit professionnel, ce qui n'est justement pas le cas des fansubs, où ceux qui les "consomment" savent ce qu'ils font. Là, les lecteurs se retrouvent avec un produit amateur sans savoir à l'avance que c'est ce qu'ils ont acheté, et ce n'est pas très honnête vis-à-vis d'eux non plus...

    Les auteurs qui veulent diffuser leurs écrits et n'ont pas trouvé d'éditeur peuvent le faire sur des sites comme Wattpad, où il est clair et net que ce sont des produits amateurs venus tenter leur chance auprès des lecteurs et que des éditeurs repèreront peut-être (ce fut le cas de 50 Shades of Gray, originellement publié sur Wattpad, puis remanié et édité professionnellement par un éditeur en dur avant de devenir le succès que l'on sait.
    Paola (traductrice professionnelle)

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